La distribution des médicaments par les auxiliaires de soins

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Contrairement à la profession d’infirmière, dont les compétences sont définies par le Décret n° 2004-802 du 29 juillet 2004, les Aides Soignants (AS), les Aides Médico Psychologiques (AMP) et les Auxiliaires de Puericultures (AP) exercent quotidiennement leur métier dans l’insécurité et l’interrogation quand à l’engagement de leur responsabilité, et la distinction entre collaboration et glissement de tâches. La distribution des médicaments est emblématique de ces problématiques.

Cette article a donc pour vocation de clarifier les dispositions législatives encadrant la distribution des médicaments par les auxiliaires de soins, ainsi que de préciser l’organisation du circuit du médicaments et les responsabilités de chaque acteur. Enfin nous dégagerons les enjeux revendicatifs dont doivent se saisir les salarié-es pour faire reconnaître leurs compétences et sécuriser au maximum leurs pratiques professionnels.

Les Agents de Services Hospitaliers (ASH) ne devraient pas aider à la prise ou procéder à la distribution des médicaments car ils ne sont mentionnés dans l’Article 4311-4 du Code de la santé publique comme profession habilité à collaborer avec les infirmiers pour cette activité. C’est pourquoi cet article ne fait pas mention de ces professionnels.

Néanmoins l’arrêt de la Cour de cassation du 2 décembre 2014 N°13-28505  à ouvert un débat réglementaire dans cette interprétation pour les EHPAD. Nous conseillons aux ASH confrontés à cette problématique de nous contacter pour étudier les situations au cas par cas. Si nécessaire la CGT vous accompagnera et pourra engager un dialogue avec votre employeur pour l’interpeller, au delà d’une position juridique, sur l’insécurité professionnelle générée par un tel glissement de tâche, et sur l’impact négatif induit sur la qualité et la sécurité du circuit du médicament.

En revanche les éducateurs spécialisés et moniteurs éducateurs en tant qu’accompagnant des gestes de la vie courante dans les établissements sociaux trouveront dans  des éléments les aidants à se positionner sur la question de la distribution des médicaments.

Législation

  • Article R4311-4 du Code de la Santé Publique (CSP) : “Lorsque les actes accomplis et les soins dispensés relevant de son rôle propre sont dispensés dans un établissement ou un service à domicile à caractère sanitaire, social ou médico-social, l’infirmier ou l’infirmière peut, sous sa responsabilité, les assurer avec la collaboration d’aides-soignants, d’auxiliaires de puériculture ou d’aides médico-psychologiques qu’il encadre et dans les limites de la qualification reconnue à ces derniers du fait de leur formation. Cette collaboration peut s’inscrire dans le cadre des protocoles de soins infirmiers mentionnés à l’article R. 4311-3”. Cette article du CSP précise le cadre juridique de la collaboration entre infirmier et auxiliaires de soins, et les responsabilités de chacun.

« Au sein des établissements et services mentionnés à l’article L. 312-1 du CASF (établissements et services sociaux et médico-sociaux), lorsque les personnes ne disposent pas d’une autonomie suffisante pour prendre seules le traitement prescrit par un médecin à l’exclusion de tout autre, l’aide à la prise de ce traitement constitue une modalité d’accompagnement de la personne dans les actes de sa vie courante.

L’aide à la prise des médicaments peut, à ce titre, être assurée par toute personne chargée de l’aide aux actes de la vie courante dès lors que, compte tenu de la nature du médicament, le mode de prise ne présente ni difficulté d’administration ni d’apprentissage particulier.

Le libellé de la prescription médicale permet, selon qu’il est fait ou non référence à la nécessité de l’intervention d’auxiliaires médicaux, de distinguer s’il s’agit ou non d’un acte de la vie courante. Des protocoles de soins sont élaborés avec l’équipe soignante afin que les personnes chargées de l’aide à la prise des médicaments soient informées des doses prescrites et du moment de la prise. »

Jurisprudences

  • Cour d’Appel d’Aix-en-Provence du 7 mai 1990 : L’employeur qui demande à une aide-soignante de prodiguer des soins réservés aux infirmiers est responsable de l’erreur de la salariée sur la personne d’un malade. L’intéressée ayant obéi à un ordre illégitime. Faute de l’aide-soignante : NON. Responsabilité de l’établissement employeur : OUI
  • Cour d’Appel d’Aix-en-provence du 19 juin 1997 : Commet une faute grave, l’aide-soignante, même expérimentée et avertie, qui distribue aux patients des médicaments et qui leur administre des injections et des perfusions alors qu’il s’agit d’actes de soins infirmiers. Faute de l’aide-soignante : OUI. Responsabilité de l’établissement de SANTE : OUI
  • Conseil d’Etat décision N° 233939 du 22 mai 2002 : A jugé que relève de la compétence des aides-soignants la distribution des médicaments lorsqu’il s’agit d’apporter une aide, un soutien à une personne qui a perdu son autonomie. La justice a validé cette pratique en retenant la qualification de faute professionnelle le refus de distribuer des médicaments par le personnel cité à l’article R.4311-4 du code de la santé publique.
  • Arrêt du Conseil d’Etat n°301784 du 7 Avril 2010 : précise qu’un aide soignant ou un auxiliaire de puericulture qui distribue des médicaments collabore aux tâches de l’infirmier mais demeure responsable de son acte en cas d’erreur. Ainsi le Conseil d’Etat a estimé qu’une auxiliaire de puériculture a outrepassé ses fonctions en effectuant un acte qui devait, compte tenu de la difficulté inhérente au calcul de la dose prescrite, être effectué par le personnel infirmier et d’autre part, fait preuve de négligence dans l’accomplissement de cet acte (administration d’une dose 40 fois supérieur à la prescription). L’agent a fait l’objet d’une sanction disciplinaire et d’une exclusion définitive de l’établissement.

 

Établissements sanitaires(Hôpital, Clinique,…)

Dans les établissements de santé, la distribution des médicaments relève de la seule compétence des infirmiers. La prescription est faîte par le médecin, l’infirmier (IDE) prépare et distribue les traitements aux patients. Si le patient est autonome, l’IDE donne le traitement au patient. Le cas échéant, l’infirmier va aider le patient ou être aidé par l’aide soignant.

 

Établissements sociaux et médico-sociaux(EHPAD, foyer de vie,…)

Dans les établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS), les auxiliaires de soins (aides soignantes, auxiliaires de puéricultures, et aides médico psychologique) procéde à la distribution des médicaments lorsque cette acte est considéré comme relevant d’un accompagnement de la vie courante de l’usager.

Le circuit du médicament dans les établissements médico sociaux

Le circuit du médicament dans les établissements médico-sociaux s’avère complexe, particulièrement en Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD), car il implique la prise en charge d’usagers présentant souvent des polypathologies, et l’implication de multiples étapes et acteurs. Le rapport Verger de Décembre 2013 sur la politique du médicament en EHPAD, et le Rapport IGAS 2005-022 de Mars 2005 présentant les conclusions du groupe de travail sur la prise en charge des médicaments dans les maisons de retraite médicalisées, permettent une approche détaillé des enjeux et du rôle des divers acteurs impliqué dans la sécurisation du circuit du médicament dans les établissements médico-sociaux (EMS).

Ainsi, le circuit du médicament en EMS se décompose en 3 phases :

  • Phase 1 : Prescription et commande des médicaments

Cette phase implique la gestion des ordonnances individuelles des résidents par l’IDE qui doit récupérer toutes les ordonnances des médecins traitants et prendre en compte les ordonnances émanants des autres prescripteurs éventuels (spécialistes, hospitaliers, urgentistes). En revanche la conciliation entre les ordonnances des différents prescripteurs est de la responsabilité du médecin traitant, mais son manque de disponibilité oblige trop souvent l’IDE, qui doit mettre à jour ses fiches de traitement, à des retranscriptions (manuelles ou informatiques) qui peuvent être sources d’erreurs médicamenteuses. L’infirmière assure ensuite la transmission des ordonnances au pharmacien, le plus souvent par fax (avec parfois des problèmes de lisibilité à la réception) ou par messagerie.

  • Phase 2 : Préparation des traitements

Cette phase met en relation l’EHPAD et la pharmacie qui l’approvisionne : Soit la Pharmacie à Usage Intérieur (PUI) de l’établissement, soit une ou plusieurs pharmacies d’officine.

Conformément à l’article R. 4235-48 du CSP, le pharmacien réalise dans son intégralité l’acte de dispensation (analyse pharmaceutique de chaque ordonnance avant délivrance des médicaments). Le pharmacien doit signaler au prescripteur les contre-indications et la présence d’interactions médicamenteuses dangereuses, et lui rappeler si besoin les alertes émises sur certains médicaments par les autorités sanitaires ou l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament.

La délivrance des médicaments se fait le plus souvent en conditionnement usuel nominatif. Dans certains cas moins fréquents, il peut être réalisé la préparation des doses à administrer (PDA), c’est à dire « la mise en piluliers » individualisés par résidant.

Cette prestation complémentaire à une dispensation individuelle est effectué très majoritairement (60 à 70%) par le personnel infirmier de l’EHPAD et non par un pharmacien. Dans les conditions actuelles de pratique, la PDA implique un déconditionnement/reconditionnement des spécialités pharmaceutiques. En effet, il est souvent nécessaire de déconditionner les médicaments de leur emballage d’origine pour les reconditionner dans un pilulier qui contient autant d’alvéoles que d’unités préparées.

Quelle que soit la solution retenue, le rapport IGAS 2005-22 recommande de préparer les doses et les mettre sous piluliers pour une durée maximum d’une semaine et de prévoir une procédure spécifique pour gérer les changements de traitements.

  • Phase 3 : Administration du traitement et surveillance des effets

Cette phase est à l’origine de la polémique sur l’intervention des auxiliaires de soins dans le circuit du médicament en établissement sociaux et médico-sociaux (ESMS). En effet, dans les conditions énumérés à la suite de cette article, la législation autorise et oblige les auxiliaires de soins à participer à la distribution des médicaments dans les ESMS. La principale voie d’administration des médicaments est, en EHPAD comme en ville, la voie orale sous forme sèche (comprimés, gélules,…) ou liquide (solutions buvables, sirops,…). La voie injectable, cutanée, les collyres et les autres voies restent plus marginales. Dans les ESMS, l’aide à la distribution des médicaments par les auxiliaires de soins n’est possible que pour la voie orale.

Par ailleurs, tout médicament administré doit faire l’objet d’une traçabilité rigoureuse (qui, quand, comment, heure et mention si problème rencontré). L’auxiliaire de soins doit communiquer à l’infirmière d’éventuelles observations (non prise de traitement, problème de déglutition,..) afin de garantir une bonne traçabilité de l’administration.

Il faut également signaler que les médecins doivent réglementairement privilégier la prescription de médicaments génériques. Or cela peut poser problème en EHPAD, d’une part au résident qui ne reconnaît plus ses pilules, ce qui nécessite un travail d’explication et d’accompagnement. D’autre part pour l’IDE, pour qui l’identification de médicaments dans le pilulier est rendue plus difficile en cas de changement de traitement, surtout quand l’EHPAD est approvisionné par plusieurs officines, chacune d’elle pouvant s’adresser à des génériqueurs différents. Les auxiliaires de soins quand à eux peuvent être mis en difficulté pour signaler une éventuelle erreur médicamenteuse lors de la distribution.

Enfin, la Haute Autorité de Santé (s’appuyant sur le SFPC -Dictionnaire français de l’erreur médicamenteuse 1ère édition, p 45) précise que des facteurs environnementaux favorisent les erreurs médicamenteuses, tels que : la charge de travail, la pression de l’urgence, des professionnels de santé en effectif insuffisant, le niveau d’effectif, l’indisponibilité d’un professionnel de santé pour la participation aux soins requis. Ce qui souligne la nécessité d’un vaste plan de recrutement d’IDE et d’auxiliaire de soins (AS, AMP,…) pour pallier à une situation de sous effectif chronique qui affecte la sécurité des patients.

Distribution des médicaments : Un acte de la vie courante ?

Sur la base de l’Article L.313-26 du Code de l’Action Sociale et des Familles, plusieurs conditions sont requises pour que la distribution des médicaments en établissements sociaux et médico-sociaux puissent être définies comme un acte d’accompagnement de la vie courante et donc réalisable par les auxiliaires de soins.

  • Le traitement doit impérativement être prescrit par un médecin
  • L’usager ne dispose pas d’une autonomie suffisante
  • Le mode de prise du traitement ne doit pas présenter de difficulté d’administration ou d’apprentissage particulier (ce qui exclue la voie injectable). De manière générale, il convient de rappeler qu’aucun des actes relevant de l’article R4311-7 du code de santé publique ne peut être confié à l’aide soignant (lavement, changement de perfusion, aérosol médicamenteux, etc.)
  • Le libellée de la prescription médicale précise si l’intervention d’auxiliaires médicaux est nécessaire. Si aucune précision n’est apporté, deux hypothèses sont envisageables :

– L’intervention d’auxiliaire de soins est considérée comme nécessaire, la prise de traitement ne s’apparente pas à un acte de la vie quotidienne.

 – L’intervention d’auxiliaire de soins n’est pas considérée comme nécessaire, la prise de traitement est assimilable à un acte de la vie courante.

Pour procéder à la distribution des médicaments l’auxiliaire de soins doit exiger :

  • De disposer de protocoles de soins élaborés avec l’équipe soignante afin d’être informées des doses prescrites et du moment de la prise, en vertu de l’article L313-26 du CASF.

  • Qu’une infirmière soit présente lors de la distribution des médicaments en vertu du principe de précaution et de la sécurité du circuit du médicament. En effet, seul l’infirmière est habilité a préparer les traitements médicamenteux l’auxiliaire de soins doit donc pouvoir l’interroger en cas de doute lors de la distribution (pilulier absent ou mal identifié,…).

Collaboration et responsabilité de l’auxiliaire de soins

L’article R.4311-4 du Code de la Santé Publique (CSP) précise que seuls les aides soignantes, auxiliaires de puéricultures et aides médico psychologique, peuvent collaborer avec le personnel infirmier. La législation utilise précisément le terme de collaboration (c’est à dire une aide sans transfert de responsabilité) et non le terme délégation qui désigne un transfert de responsabilité sur la personne qui accomplit les gestes en lieu et place du délégataire. Par ailleurs, il convient de rappeler que toutes les délégations de compétences doivent être expressément prévues par les textes et régulièrement publiées pour être légales.

De plus, l’article R 4311-4 du CSP précise que la collaboration avec les auxiliaires de soins :

  • S’exerce dans la limite de leur qualification et de leur formation. L’infirmier doit s’assurer que l’auxiliaire de soins dispose des compétences nécessaires pour collaborer à l’exécution d’une tâche. En l’absence de décret spécifique, les compétences des auxiliaires de soins sont définies et bornés par les référentiels d’activités et de formation propres à chaque profession.
  • Les actes réalisés sont exercés sous la responsabilité de l’infirmier.

Cependant cela ne signifie pas que les auxiliaires de soins bénéficient d’une immunité quant à leurs responsabilité.

En effet, toute personne qui commet une erreur médicamenteuse dommageable pour le patient voit sa responsabilité pénale engagée et peut donc être poursuivie personnellement pour cette erreur (principe de la responsabilité personnelle au pénal). En cas d’incident la faute à l’origine du dommage est toujours recherchée, si celle-ci relève du champ de compétence ou du fait de la négligence de l’auxiliaire de soins sa responsabilité pourra être engagée.

Ainsi, l’Arrêt du Conseil d’Etat n°301784 du 7 Avril 2010 illustre cette situation en jugeant qu’une auxiliaire de puériculture a outrepassé ses fonctions en effectuant un acte qui devait, compte tenu de la difficulté inhérente au calcul de la dose prescrite, être effectué par le personnel infirmier et d’autre part, fait preuve de négligence dans l’accomplissement de cet acte (administration d’une dose 40 fois supérieur à la prescription). L’agent a fait l’objet d’une sanction disciplinaire et d’une exclusion définitive de l’établissement.

Enjeux revendicatifs

  • Élaboration et négociation d’un plan de recrutement pour les EHPAD sur la base des besoins en effectifs définies par les salariés et les organisations qui les représentent. Afin de sortir d’une situation de sous effectif chronique qui porte atteinte à la santé des travailleurs, à la qualité et la sécurité des soins.
  • Reconnaissance en terme de rémunération, de la nouvelle compétence et responsabilité que constitue la distribution des médicaments.
  • Incorporer un module de pharmacologie dans la formation initiale des auxiliaires de soins (AS, AP, AMP), et garantir leur accès à la formation continue.
  • Reconnaissance de la qualification des auxiliaires de soins, en favorisant les passerelles professionnels notamment vers la formation d’IDE. Cela passe par l’exonération de certains modules de formation, mais aussi par le maintien du versement des primes afférentes à leur profession durant la période de formation.
  • Rédaction et mise à disposition de protocoles de soins afin que l’auxiliaire de soins soit informées des doses prescrites et du moment de la prise médicamenteuse.
  • Définition et inscription au code de la santé publique des compétences des aides soignantes, des aides médico psychologiques et auxiliaires de puéricultures, par la publication de décret.
  • Exiger la présence d’une infirmière lors de la distribution des médicaments par les auxiliaires de soins.
  • Dans les établissements ou la démarche n’est pas engagée, impulser l’organisation d’un audit sur la sécurisation du circuit du médicament, auquel sont associés les auxiliaires de soins.
  • Développer la PDA réalisé par une pharmacie, sans préjudice sur les effectifs infirmiers.

 

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